Salimou : « Pas question de réintégrer les ex-FGA dans l'AND »
Exclusif. C'est dans son bureau de Kandani, entre deux réunions, que le chef d'état-major de l'Armée nationale de développement (And), le général Salimou Mohamed Amiri, a reçu, jeudi 14 août, les reporters d'Al-watwan. Très à l'aise avec la presse, il a accepté de répondre à toutes les questions, jusqu'aux plus embarrassantes, sans faux-fuyants. Il parle, entre autres, de sa promotion au grade de général qui a tant nourri la chronique à Moroni, des recrutements en cours au sein de l'armée, du cas du colonel Hamza, son prédécesseur au poste, mais aussi de la prochaine modernisation de l'armée comorienne. Le général Salimou parle surtout de cette menace de destabilisation qui continue de planer sur l'archipel. « Mayotte est entrain de donner cette image lamentable de principal facteur de déstabilisation des Comores » accuse-t-il d'emblée. Interview.
L'armée comorienne vient de procéder à un renforcement de ses
effectifs. On estime à 700 le nombre des nouvelles recrues. A l'heure
où on parle de rigueur budgétaire et où l'Etat a du mal à payer ses
fonctionnaires, comment justifiez-vous ces recrutements ?
Je le justifie de deux façons très précises. D'abord par la situation
sécuritaire du pays. Je pars du constat objectif que les effectifs
actuels de l'armée nationale de développement ne sont pas en mesure, du
moins en termes de nombre, de garantir la sécurité et l'intégrité du
territoire. Donc, il était impératif et nécessaire que nous procédions
à des recrutements. Il y a va de la survie de la nation. En vérité,
nous ne sommes pas entrain de recruter parce que, du point de vue
budgétaire, il n'y a aucun impact. Et c'est la deuxième raison.
Qu'est-ce qui se passe au juste ? La force de gendarmerie d'Anjouan
était estimée à 700 militaires. C'est exactement ce même nombre de
personnel que nous sommes entrain de recruter. Tout compte fait, c'est
le même budget.
Au-delà de ce recrutement, faut-il s'attendre à un train de
modernisation de l'armée ; si oui, quelles en sont les grandes lignes ?
La modernisation s'impose. Rien que par le fait que nous avions
l'habitude d'avoir un colonel en tant que chef d'état-major ;
maintenant, nous avons un général. Il faut donc plus d'ambitions et il
faut que cela ait un impact aussi bien au niveau de la pensée militaire
que des structures. Je suis entrain de travailler sur la composition de
mon état-major. Il va y avoir un chef de cabinet du chef d'état-major
digne de ce nom et des chefs de bureaux beaucoup plus représentatifs.
Je suis même entrain de changer de bureau et de créer un nouvel
état-major qui ne sera pas forcément ici. Et ce, pour que, justement,
on puisse faire la différence entre la Force comorienne de défense et
l'état-major parce qu'il y a toujours eu cette confusion.
Toujours dans le cadre de cette modernisation, j'ai aussi l'intention
de créer un embryon de marine. Nous savons que si, dans deux ou trois
ans, nous sommes amenés, encore une fois, à intervenir à Anjouan et que
nous avons, comme aujourd'hui, recours à des bateaux civils et non
adaptés comme le Treize Radjab, cela voudra dire qu'on n'a pas appris
les leçons.
Entre autres idées, je veux également faire de l'And une armée
productive à partir de ce recrutement. Il y aura donc une compagnie qui
sera basée à Itsoudzou et une autre à Bandasamlini, à la ferme de
Sangani. A ses heures perdues, ces compagnies vont se consacrer à
l'agriculture. C'est une opération qui a déjà fait ses preuves. Nous
allons aussi restructurer dans d'autres domaines. Il faut que
maintenant que je prépare mes officiers à remplir des fonctions, y
compris même à l'extérieur du pays. Il y a la Brigade de l'Afrique de
l'Est ; on vient de m'envoyer une vacance de cinq postes. Quand je
regarde le cursus de nos officiers et leurs compétences, je n'en trouve
pas. Il faudra donc les former pour que, dans deux ou trois ans, nous
ne soyons pas dans le même cas. Surtout qu'actuellement, c'est nous qui
assurons la présidence de la Brigade de l'Afrique de l'Est. Il y a
aussi d'autres chantiers....
Donc, ces postes vont nous filer entre les doigts ....
De toutes les façons, les Comores n'occupent qu'un seul poste, celui du
lieutenant-colonel Chaarane. J'aimerais faire plus ; il faut maintenant
préparer les officiers. Il y a déjà la barrière de la langue mais aussi
d'autres critères de compétences.
Le niveau de sécurisation de l'île d'Anjouan reste aujourd'hui matière
à discussion. Entre Anjouan et Mayotte, la frontière n'a jamais été
aussi poreuse. Où se situe la faille ?
En termes d'analyse stratégique, je serais obligé de dire que Mayotte
est entrain de donner cette image lamentable de principal facteur de
déstabilisation des Comores. Et ce n'est pas de nature à calmer les
relations entre Mayotte et les autres îles. Voilà déjà une faille. Le
président de l'Union l'a déjà mentionné. Il faudra maintenant en
prendre acte et que le gouvernement prenne ses responsabilités et
dénonce cela. Mais, il y a certainement d'autres failles. Vous savez ce
qui s'est passé à Anjouan où des détenus ont été libérés du jour au
lendemain, y compris des prisonniers militaires. L'état-major n'y est
pour rien. Voyez-vous, la déstabilisation n'est pas finie et on doit le
savoir. On n'a pas fait le débarquement militaire pour ensuite dormir
sur nos lauriers comme on dit. Il faudra qu'on sache que la
déstabilisation continue et prendra maintenant d'autres formes. C'est
le cas de l'évasion spectaculaire de la dernière fois ; donc j'en
appelle à beaucoup de vigilance de la part des militaires, mais surtout
de la population civile. Parce que la défense de la nation est globale.
Il n'y a pas, d'un coté, les militaires qui doivent faire quelque chose
et les civils, de l'autre, qui doivent dormir.
Après l'évasion de la prison de plusieurs anciens dignitaires du régime
Bacar à Anjouan, certains de vos militaires sont pointés du doigt et
accusés d'avoir été dans le coup. Où en est l'enquête ouverte à ce
sujet ?
Je voudrais préciser que c'est toujours facile de pointer du doigt les
militaires et d'oublier la responsabilité des autres. On a tendance,
comme on dit en français, à voir la paille qui se trouve dans l'œil de
l'autre et à oublier que l'on a une poutre dans son propre œil. Dans
cette affaire, j'irais jusqu'au bout, les enquêtes continuent. Il y a
d'abord eu une enquête de commandement, cela na pas été concluant et
maintenant il y a les enquêtes judiciaires. Il y a un juge qui planche
sur cette affaire, une commission militaire qui travaille là-dessus et
le procureur de la République est déjà saisi. Si un officier, un
sous-officier ou un militaire du rang doit être sanctionné, ce sera sur
la base de quelque chose. C'est clair, les militaires qui ont fauté
seront sévèrement sanctionnés. Mais, il ne faudra pas qu'on s'arrête
là. Je n'ai jamais arrêté de dire qu'on ne peut pas assurer la sécurité
des Anjouanais sans les Anjouanais eux-mêmes. Si cette affaire a eu
lieu, c'est parce qu'il y a eu de hautes complicités à Mutsamudu. Donc,
si je sanctionne les militaires et qu'au niveau du civil, ces gens-là
restent impunis, il y aura toujours d'autres forfaitures....Que chacun
prenne donc ses responsabilités. Nous avons ici affaire à des genres
suffisamment riches qui peuvent graisser la pâte à un militaire en lui
donnant un, deux, voire trois millions. Imaginez un militaire qui n'a
pas été payé depuis cinq mois, qui connaît cinq mois d'arriérés
d'alimentation, cela veut dire que depuis cinq mois, il est supposé ne
pas manger, c'est une tentation facile.
Pourquoi n'y a-t-il pas un tribunal militaire dans notre pays ?
Je n'en vois pas franchement l'utilité. Ici la justice est la même pour
tout le monde. Il faut dire que cela n'a pas été une expérience
concluante, même dans les grands pays comme la France. Aux Comores,
tout le monde connaît tout le monde. Pour l'instant, ce projet n'est
même pas dans mon agenda.
Dans une récente interview à la télévision nationale, le chef de l'Etat
a parlé d'un risque sérieux de déstabilisation des Comores à partir de
Mayotte et en a appelé à la vigilance de l'armée. On parle même de
l'envoi d'une force à Anjouan. Comment cela va-t-il s'opérer ?
Je crois qu'en tant que chef suprême des armées, le président a très
bien vu. Je l'ai dit plus haut, la menace est aujourd'hui connue,
claire et identifiée. Et quand on connaît son ennemi et on ne fait
rien, ce qu'on ne vaut rien. Alors comment gérer cette menace ? Voilà
la question. Il a parlé d'une force qui doit aller à Anjouan. C'est une
idée qui reste à préciser. Faut-il entendre par là des forces
étrangères qui doivent venir en renfort, je ne pense pas. Je n'envisage
pas ce schéma et je ne vois pas comment il est faisable. Faut-il penser
à un redéploiement de l'And ? C'est possible. Je pense qu'il veut
surtout parler de ces recrutements. Parce que, désormais, on aura
beaucoup plus de monde à Anjouan. Je sais que les forces tanzaniennes
et soudanaises doivent partir un jour ou un autre (d'ici à octobre), et
si je ne suis pas en mesure de combler ce vide, ce sera certainement
dramatique pour Anjouan. C'est pour cela que j'ai déjà lancé la phase
de formation de ces recrues, le but étant celui-là.
Quel est le sort des militaires de l'ex-FGA, le bras armé du régime Bacar, dont la plupart sont détenus au camp de Kandani ?
D'abord, c'est une bonne chose qu'ils soient détenus ici parce que tous
ceux qui l'ont été à Anjouan sont libérés. Donc si on n'avait pas eu
cette brillante idée, ils seraient libres. Ils auraient pu nous narguer
et « foutre le bordel » à Anjouan. Maintenant, quel est leur sort ? Je
ne sais pas. En tout cas, il n'est pas dans mes mains. Une chose est
sure : je m'opposerai à toute forme de réintégration de ces gens-là
dans l'armée nationale de développement, partant du fait que leur
présence dans l'armée va créer plus de problèmes que ça ne va en régler.
Maintenant, il y a d'autres schémas, d'ailleurs en cours dans d'autres
pays. C'est ce qu'on appelle le DDR (démobilisation, démilitarisation
et réinsertion), c'est-à-dire on récupère leurs armes et on forme ces
gens-là dans d'autres spécialités pour qu'ils puissent facilement être
réintégrées dans la société. Et là, les perspectives sont prometteuses
puisque, dans le cadre du Fonds de consolidation de la paix, il y a un
volet qui sera affecté au DDR. Je suis entrain de sensibiliser le
président d'Anjouan à ce sujet pour que le projet soit vite ficelé. Il
a, au moins, 99% de chance d'être financé.
Comment expliquez-vous ces avancements rapides au niveau de l'armée ;
certains militaires ont, en l'espèce de quelques mois, été promus plus
d'une ou deux fois. En outre, il y a ces armes qui circulent librement
dans notre pays et qui constituent une sérieuse menace pour le pays.
Comment réagissez-vous à ces problèmes ?
D'abord, sur les avancements, je dois dire qu'il y a parfois des
circonstances heureuses, surtout dans l'armée, et qui méritent
récompenses. Et cela se fait dans le monde entier. J'ai eu cette
chance. Et je remercie Dieu pour cela. Dans la même foulée, le
président de l'Union a décidé de faire « un cadeau » à tout le monde.
Seulement, c'était limité aux hommes du rang et aux sous-officiers.
Encore une fois, je pense que ce n'est pas contre les textes. C'est ce
qu'on appelle des « avancements exceptionnels » et c'est prévu dans la
loi portant statut des militaires. Donc, tant sur ma promotion à propos
de laquelle je sais qu'il y eut certains commentaire que sur les autres
avancements exceptionnels, tout est prévu dans les textes. J'ajoute
même que le grade de général y est prévu, voire la grille indiciaire
inhérente.
En ce qui concerne les armes en circulation, c'est surtout le cas
d'Anjouan qui inquiète. Et j'ai une idée dont j'ai discuté tout à
l'heure avec l'ambassadeur de Chine. Elle consiste à lancer une
campagne de sensibilisation en direction de la population. Il y aura
donc une période de moratoire, si je peux m'exprimer ainsi. Pendant
cette période, on va clairement dire à tous ceux qui détiennent des
armes, notamment à Anjouan, de les remettre le plus légalement du
monde. S'ils ne le font pas, celui qui sera attrapé avec une arme
au-delà de cette période, sera sévèrement sanctionné. Mais, il faut, au
préalable, un temps de sensibilisation pour que tout le monde, où qu'il
soit, jusque dans le Nymakélé, le sache. Je vais me déplacer sur
Anjouan à ce sujet. Mais, le problème se pose aussi en Grande Comore où
il y a eu en 1992 une rébellion. On ne peut pas avoir un pays où les
gens détiennent illégalement leurs armes.
On reproche souvent à l'autorité militaire à Anjouan de s'interférer
dans le fonctionnement de l'appareil judiciaire ; ce qui aurait
probablement provoqué la démission de deux magistrats précédemment
affectés dans l'île. On a l'impression qu'après le débarquement
militaire à Anjouan, l'armée fait un excès de zèle....
Excès de zèle ? ça dépend naturellement de l'individu. Il se pose, il
est vrai, un problème d'interprétation des missions et des prérogatives
des commandants régionaux. Un coup, ils se prennent pour des chefs
d'état-major régionaux alors qu'ils ne le sont pas ; un autre coup, le
responsable de l'île. Pour cela, j'envisage d'organiser un séminaire
pour recadrer et préciser leurs responsabilités. En attendant, je les
ai convoqués ici pour leur expliquer et déterminer leurs missions. Je
sais que ce n'est pas facile. De là à dire que le commandant régional à
Anjouan a été à l'origine de la démission de certains magistrats, c'est
un pas que je ne franchirais pas.
On parle aussi d'un problème de cohabitation entre le patron de la
gendarmerie à Fomboni, le capitaine Abou Issa, et le chef de l'exécutif
de Mohéli, Mohamed Ali Said, qui serait allé jusqu'à demander son
affectation.....
Que le président de l'île ne supporte pas le capitaine Abou Issa ou ne
l'aime pas, cela n'est pas un problème. J'ai coutume de dire qu'on
n'est pas ici pour s'aimer ou pour faire l'amour ; s'il a des choses à
lui reprocher, qu'il le dise clairement et on verra. Mais, s'il me dit
de le changer parce qu'il ne l'aime pas, je crois qu'il le dira
longtemps.
Où en êtes-vous par rapport à l'enquête sur le colonel Hamza. On a l'impression que ça piétine....
L'enquête ne piétine pas du tout ; les choses sont extrêmement simples.
Le directeur de Cabinet chargé de la défense m'a demandé un rapport sur
ce qu'il appelle « les évènements du 2 mai ». Le rapport lui a été
remis avec toutes les explications possibles et les propositions qui
vont avec. En l'absence de tribunal militaire, l'AND ne peut pas se
substituer à la justice et, donc, l'affaire doit être confiée à la
justice pour déterminer, au cas échéant, si Hamza est un traître ou
autre chose. Le gouvernement doit, à cet effet, porter plainte car
l'AND ne peut pas juger le colonel Hamza, tout le monde le sait.
J'ai aussi mentionné le cas de son galon de lieutenant-colonel. Hamza
était commandant à sa nomination au poste de chef d'Etat-major de l'AND
et le décret de sa nomination était clair : il est promu
lieutenant-colonel à titre provisoire pour pouvoir remplir ses
fonctions. Hamza n'étant plus chef de l'Etat-major, qu'est-ce qu'on
fait de son galon ? J'ai posé la question au président de l'Union, je
n'ai jamais eu de réponse. Il y a deux choses : soit le président
confirme son galon soit il le lui enleve puisque Hamza ne l'a jamais eu
à titre définitif. Aucune proposition n'a été adoptée. Pire que cela,
entre temps, il y a eu un tableau d'avancement et Hamza s'est permis de
s'inscrire pour le galon de colonel plein ; ce qui est parfaitement
illégal. C'est pourquoi j'ai pris la décision, à mon niveau, de ne pas
le respecter et de le supprimer sur les états de solde. Il n'est pas
payé au grade de colonel plein, mais à celui de lieutenant-colonel. Si
le gouvernement ne veut pas prendre ses responsabilités, qu'est-ce que
vous voulez que je fasse ? J'ai fait tout ce que je devrais faire. Le
reste ne me regarde pas.
La suite. A lire dans l'édition de venredi 15 août du quotidien Al-watwan.
Propos recueillis par Mohamed Inoussa et Irchad Ousseine Djoubeir
Source: inoussa.centerblog.net